BAKOU, Azerbaïdjan (JTA) — Environ un an après que les deux enfants de Bella Regimov ont quitté leur pays natal pour Israël, ainsi que nombre de ses amis et proches, la septuagénaire a commencé à se sentir seule. Seule dans une société azerbaïdjanaise tournée vers la famille, cette femme âgée de 76 ans perdait « la volonté de se lever le matin » suite à leur départ, au début des années 2000, raconte-t-elle.

Mais en 2006, les choses ont changé. Cette année-là, elle a commencé un travail de bénévole au centre communautaire juif que le JDC (American Jewish Joint Distribution Committee) avait ouvert deux ans auparavant au sein de la capitale de cette république du Caucase.

« C’est devenu mon foyer, mon véritable foyer », s’exclame Regimov en évoquant la Maison juive, un bâtiment décrépi installé dans une rue animée bordant la gare de Bakou. « Je viens dès que je suis debout et je reste pour fermer l’immeuble ».

Depuis qu’elle est bénévole, Regimov dépend du centre pour toutes ses interactions sociales. C’est une motivation et même un exercice : elle marche environ trois kilomètres par jour pour se rendre au centre, aller-retour, depuis son domicile dans le vieux quartier juif de la ville. L’été, elle marche rapidement pour limiter son exposition à un soleil étouffant, ralentissant dans l’ombre des immeubles aux tuiles beiges de gré omniprésentes, caractéristiques de la municipalité.

Mais ce mois-ci, Regimov et des douzaines de personnes âgées juives à Bakou quitteront le bâtiment qui accueille le seul centre communautaire juif de la ville. Le JDC l’a vendu pour réorganiser ses dépenses dans une ville dont la communauté juive ne cesse de diminuer.

Cette vente a eu lieu dans le cadre d’un effort plus large de la part du JDC de répondre à la démographie de la communauté juive, a fait savoir le groupe basé à New York. Dans le cas de Bakou, dont la population juive est tombée de 16 000 à 8 000 personnes depuis l’an 2000, l’organisation va transférer ses bureaux dans un espace bien plus petit, a indiqué un porte-parole du JDC.

De nombreux juifs azéris ont quitté le pays pour la Russie et pour Israël en quête d’opportunités qui n’existent pas dans l’économie népotiste de l’Azerbaïdjan, un pays riche en pétrole au sein duquel de nombreux résidents vivent dans un état de pauvreté terrible.

Cette communauté qui s’effondre a donné à ces institutions – qui ont été un remède à la solitude – encore plus de valeur, selon Regimov et d’autres personnes âgées.

« Je vous en prie, dites-leur de ne pas nous enlever cela », dit-elle. « C’est pour le centre que je réussis à me lever le matin et je ne suis pas la seule ».

La Maison juive, qui s’étend sur 1 200 mètres carrés, comprend un auditorium, des salles pour les ateliers de travail et pour les cours, et un espace pour des expositions. Le JDC a fait savoir que la nouvelle structure, à peu près cinq fois plus petite, permettra toutefois des activités et contiendra un centre de jour pour les seniors.

Pourtant, Shaul Davidov, qui est à la tête de la Maison juive depuis son ouverture, explique que ce changement représente « la fin d’une époque » pour sa communauté.

Les organisations chargées des activités communautaires à Bakou trouveront une nouvelle adresse là-bas, ajoute-t-il, mais « c’est une perte douloureuse » pour Regimov et les douzaines de personnes âgées qui venaient quotidiennement à la Maison juive pour y jouer aux cartes, participer aux cours d’art et d’artisanat et apprendre l’hébreu.

« Je ne pense pas qu’ils viendront. Ce ne sera pas la même chose », a-t-il dit.

Arnold Zeligman, enseignant d’hébreu bénévole de 86 ans à la Maison juive, est déterminé à reprendre son activité dans le nouvel espace.

« Mais où y aura-t-il des concerts ? Où pourrons-nous faire une Kabbalat Shabbat festive ? », interroge-t-il. « Je ne vois pas comment ça pourra se faire et c’est vraiment honteux ».

Le coût de l’entretien annuel de la Maison juive s’élève à environ 60 000 dollars, selon Davidov.

Bakou a deux synagogues actives dans le vieux quartier juif. Les deux sont de taille modeste comparées à la Maison juive et « notre population n’y a pas véritablement le sentiment d’être chez elle », explique Zeligman, dont le fils unique vit en Israël.

Ses élèves sont environ une douzaine et ils ne peuvent pas s’empêcher de se moquer gentiment de lui à cause de son accent. Des moqueries prononcées en Juhiri, le dialecte en voie de disparition qui est parlé, ici, par de nombreux juifs.

Mélange de persan et d’hébreu, c’est la langue parlée depuis des siècles par les juifs des montagnes – un courant du judaïsme qui est considéré comme n’étant ni séfarade ni ashkénaze, et dont les membres ont leur propre manière de chanter la liturgie et les chansons. Environ la moitié des juifs d’Azerbaïdjan sont des juifs des montagnes. Les autres sont d’ascendance ashkénaze et sont arrivés avant 1991, quand la Russie gouvernait encore ce qui est dorénavant l’Azerbaïdjan.

Sans alphabet convenu – les quelques livres écrits en Juhuri sont divisés en volumes qui utilisent le cyrillique, l’arabe, l’hébreu et le latin – la langue natale des retraités n’est plus d’aucune utilité pour communiquer avec leurs petits-enfants en Israël et ailleurs via Skype. C’est la raison pour laquelle ils ont besoin d’apprendre l’hébreu. Mais aucun d’entre eux n’envisage pour autant sérieusement de partir en Israël, note Zeligman.

 

Michal Frank, directrice exécutif du JDC dans l’ex-Union soviétique, explique « comprendre ce qui peut paraître contrariant » pour certains au sein de la communauté.

« Nous sommes très attentifs à leurs besoins mais nous devons nous adapter aux changements démographiques et baisser les budgets pour le bien de tous les membres du JDC », affirme-t-elle.

En 2017, le JDC a dépensé plus de 120 millions de dollars – une somme légèrement supérieure à un tiers de son budget – pour soutenir les communautés juives de l’ancienne Union soviétique. Une somme qui comprend le financement du programme Hesed, qui a apporté du soutien, cette année, à 110 000 individus environ parmi les plus défavorisées de la communauté.

Le JDC a ensuite dû diriger des ressources supplémentaires vers la Russie et vers l’Ukraine, où vivent la majorité des juifs de l’ex-Union soviétique, afin de faire face à des besoins croissants. Depuis 2013, le JDC a vu au moins 6 500 juifs se porter candidats à ses programmes d’aide sociale en Ukraine, l’une des augmentations les plus spectaculaires pour l’organisation depuis l’indépendance de l’Ukraine, en 1991. Cet élargissement des aides a fait partie de la réponse apportée par le groupe à la crise financière qui, en 2014, a frappé les économies russes et ukrainiennes à cause de leur conflit territorial.

Ces développements socio-économiques ont coïncidé avec une baisse des liquidités disponibles au sein du JDC. Les avoirs du groupe sont tombés, petit à petit, de 711 millions de dollars en 2014 à 644 millions de dollars l’année dernière – ce qui représente une baisse de 10 %. Les dépenses ont proportionnellement baissé, passant de 336 millions de dollars à 311 millions de dollars au cours de la même période, selon son rapport annuel.

Parallèlement, les besoins ne cessent d’augmenter ailleurs. Il faut donc que des sites comme celui de Bakou se restreignent.

A la Maison juive, le nombre de personnes bénéficiant de services a baissé de moitié depuis 2005, selon le JDC. Il y a actuellement environ 900 personnes âgées qui fréquentent la structure. Les juifs plus jeunes demandent de l’aide.

Cette réduction ne concerne pas que l’Azerbaïdjan. Il est visible dans toutes les régions de l’ex-Union soviétique, où les économies en difficulté et l’érosion de la démocratie poussent de nombreux juifs qui s’y étaient refusé lors des dernières vagues d’immigration à finalement partir.

Dans la ville russe de Chelyabinsk, en Sibérie, le bureau Hesed du JDC a vu une baisse de 51 % de son nombre de membres depuis 2004. A Krasnoyarsk, autre ville russe de Sibérie, une diminution de 63 % du nombre de ses membres a mené à la fusion opérée par le JDC des opérations du Hesed dans cette ville – qui sert les 219 membres qu’il lui reste – et de celles de Novosibirsk.

En Biélorussie, après que le nombre de clients a chuté de moitié, les bureaux du Hesed à Polotsk et à Vitebsk ont fusionné.

Israël ressent très certainement l’impact de cette tendance. La Russie et l’Ukraine ont fourni à eux seuls la majorité de ses immigrants à l’Etat juif en 2017 – première année où un tel phénomène se produit depuis plus d’une décennie. En Azerbaïdjan, de nombreux juifs partent pour Moscou, où ils obtiennent facilement un visa de travail et où de nombreux Azéris nantis peuvent les aider à s’implanter.

Davidov, le chef de la Maison juive, dit être conscient de la situation dans son ensemble.

« De toute façon, on sera bientôt tous partis », déclare-t-il. « Est-ce que cela vaut vraiment la peine de détruire tout cela pour économiser quelques milliers de dollars ? »

Source:timesofisrael

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