Chers Amis et Chers Enfants Boker Tov,
Une nouvelle histoire authentique où il est question des camps et de mémoire et de…Pessah !
Nous nous tenions près de la fameuse rampe de Birkenau où la pelouse verte semble être la complice de ceux qui renient la Shoah. Cette pelouse dissimule les corps de mes frères et sœurs.
Le silence lourd et profond est soudain troublé par le passage de deux enfants polonais qui chantonnent sur leurs vieux vélos. Ils ne nous regardent même pas, nous laissant derrière eux comme le firent leurs grands-parents à l’égard des juifs de leur époque. Savent-ils seulement ce qui s’est passé ici même, devant cette maudite rampe, dans ce maudit pays ?
Le Rav Binyamin qui m’accompagne me prend par le bras :
-«Laisse tomber Aharon, la colère ne peut rien changer»…
Nous nous asseyons à droite de la rampe, là même où, selon le Rav Binyamin, l’ange de la mort MENGELE aimait à se tenir…
Le Rav Binyamin plonge sa main dans son sac pour en sortir un vieil harmonica qu’il manipule avec soin avant de le porter à sa bouche et d’entonner « le Beau Danube Bleu » de Yohann STRAUSS. Son harmonica pleure…
-«Vois-tu Aharon, la boucle est bouclée. Pour jouer de l’harmonica on puise de l’air dans ses poumons pour le transformer en création musicale. Alors qu’ici même, on prenait des créatures humaines pour les bruler et en faire de l’air… »
Dans les familles « normales », le soir du Seder est source de joie, mais aussi source de souvenirs et de nostalgie.
Mais nous nous intéresserons à la famille de Kalman pour laquelle le Seder était source d’angoisses et de peurs… Quelques jours avant pessah, tous se posaient la même question, année après année, est-ce que « cela » va encore arriver ? Ce « cela » inquiétait la famille depuis le premier jour de Nissan, plusieurs jours avant la fête…
Kalman est un homme bon et engagé religieusement.Généreux et attentif avec son épouse, avec ses enfants, avec tout le monde. Il souffre d’une « maladie » connue que d’une partie du peuple juif : c’est un rescapé de la Shoah… Seul un rescapé peut comprendre un autre rescapé… Seul lui sait appréhender la douleur irréparable qui les habite à jamais.
Le soir du Seder toute la famille de Kalman était réunie autour d’une table nappée de blanc,mais bizarrement vide d’assiettes et autres couverts. Chacun fixe sa Haggadah, les mains semblent trembler, le silence est de plomb.
Kalman se lève,prend la coupe de vin et lance le Kiddouch d’une voix fébrile… Plus on avance dans la prière plus l’assistance semble se crisper… Kalman arrive au célèbre paragraphe « Ma Nichtana »…La tension est à son comble, il lit :
« Ma Nichtana…. Ma Nichtana… Ma Nichtana » comme bloqué dans son récit, ses mains s’agitent, son corps grelotte,à présent il le crie :
-« Ma Nichtana ! Pourquoi mon D.ieu, Ma Nichtana ! »
Personne ne réagit, tout le monde paraît prier pour que « cela » passe…
Kalman laisse tomber lourdement sa tête sur la table, son front saigne. Il perd connaissance.Et c’est seulement à ce moment que ses enfants, son épouse, se précipitent pour lui porter secours.
Cela dure depuis des années, chaque Seder on revit le même scénario. Personne n’intervient car Kalman est comme possédé et violent durant ces quelques longues et interminables minutes.
Vous comprenez l’absence à table d’assiettes et de couverts, il s’agit pour Toybe son épouse d’éviter à son mari des blessures encore plus graves.
S’ensuit une lecture de la Haggadah triste et monocorde… dans la famille de Kalman on n’aime pas Pessah.
Lorsqu’Aharon, son fils, fit part à Kalman de son intention de visiter Birkenau,son opposition fut virulente. Jusqu’à la veille du départ Kalman harcela son fils d’appels téléphoniques le sommant d’y renoncer, l’implorant de se raviser. Mais Aharon campa sur sa position.
Quelques heures avant son départ il fut contacté par Tante Clara :
-«Tu dois absolument venir me voir… tu dois savoir quelque chose avant ton départ ! »
Ainsi, Aharon apprit comment l’ensemble de la famille fut acheminé vers Birkenau, comment celle-ci fut séparée devant la fameuse rampe de Birkenau où se tenait MENGELE, comment ceux placés à droite avaient la vie sauve alors que le côté opposé était synonyme de mort. Tante Clara marque une pause, reprenant son souffle avant d’ajouter :
-«Nous avions une sœur aînée que tu n’as pas connue. Shayne qui avait une petite fille prénommée Golda. Aharon, ce fut la première femme de ton père. Elle fut placée à gauche de la maudite rampe par l’ange de la mort, elle ainsi que la petite Golda… Au retour des camps,après des années de deuil, ton père se remaria avec Toybe, sa belle-sœur, ta maman… »
Aharon était sous le choc, il s’aperçut qu’il pleurait, tante Clara tint son visage dans ses mains, avant de conclure :
-«Shayne et sa fille Golda ont été tuées, le soir même de Pessah, c’est ce qui explique qu’il se conduise comme tu sais, le soir de Pessah… »
A son retour de Pologne, Aharon rendit visite à son père :
-«Père, pourquoi ne m’as-tu jamais dis la source de ta douleur ? On aurait pu la partager ! »
Kalman pleura longuement comme s’il se déchargeait d’une souffrance vieille d’une soixantaine d’années.
Le Pessah suivant,il ne souffrait plus du même syndrome…
Deux ans plus tard,la famille prit même plaisir à célébrer la fête dite de la Liberté…
Nos détracteurs ne savent pas aujourd’hui encore que nous autres juifs avons la mémoire longue.
Nous n’avons pas oublié la sortie d’Egypte,ni l’exil de Babylone,ni celui de Rome,ni l’inquisition,ni toutes les expulsions et autres pogromes dont celui terrible du mois d’octobre dernier,ni tous ceux parmi nos frères et soeurs restés à jamais dans les camps…Nous autres juifs, nous ne sommes pas des humains « normaux », tout le monde le sait,ou devrait le savoir,non?
Courage et de bonnes nouvelles Bh.
GZ
 
À LA MÉMOIRE DE NOTRE MAÎTRE RABBI AVRAHAM MIMOUN ZATSAL
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