Depuis l’apparition des sciences de l'âme, et avec elles la découverte de l’inconscient, on sait la place prépondérante des premières années de la vie dans la construction du psyché humain.
L’enfant est devenu le cœur du débat. De pratiquement inexistant et n'éveillant que peu d'intérêt dans son développement affectif et psychologique, on est passé à l’enfant-roi, centre névralgique de la famille et par là-même, de la société. Qui se souciait il y a un siècle et demi des répercussions d’une gifle ou d’un « privé de dessert » ?!
D’ailleurs, notre attitude en tant que parent a viré vers un autre extrême, où on fait attention à chacun de nos mots et gestes à son égard. Bien ou mal, tout a changé et le petit nous sent certainement très désemparés devant lui, ce qui ne simplifie pas nos relations avec notre progéniture.
Le Roi des éducateurs
Le roi Salomon dans ses Proverbes, visionnaire de génie, qualifié de « plus intelligent des hommes », réussit en quelques mots à poser les bases d’une éducation saine : « Éduque l’enfant en fonction de qui il est » (‘Hanokh lana’ar ‘al pi darko). Une parcimonie de mots époustouflante, un verset très court qui contient en son sein toutes les théories sur le sujet, jusqu’aux plus récentes et aux plus modernes, comme nous allons le voir.
Le premier terme : ‘Hanokh, « éduque » ! Oui, c’est de notre responsabilité de le faire et aucun parent normatif ne peut démissionner de son rôle. Pas de papa copain ni de maman copine, c'est nocif ! La Torah interdit formellement d’appeler nos parents par leur prénom. C’est une limite dangereuse à ne pas franchir. Une faute grave et une interprétation erronée de ce qu’est une relation parent-enfant saine. Même si mai 68 est passé par là et aurait voulu nous dire autrement, de même que les très avant-gardistes méthodes éducatives suédoises hyper-permissives où le « non » et la réprimande sont inexistants, nous savons depuis la nuit des temps qu’il faut établir une hiérarchie parentale (même si c’est difficile et qu'on aime tellement plaire à nos petits bouts...) Mettre de la distance entre eux et nous est la garantie de leur bien-être, du développement de leur confiance en eux et d’une solidité psychologique à toute épreuve. Des parents trop amis sont des parents faibles, qui ne sont plus les repères dont l’enfant a tant besoin. Ils ne donnent pas une assise solide à l'enfant pour grandir et se développer à tous les niveaux.
Puis vient le comment éduquer, et le verset dit Léfi darko, « selon ce qu'il est ». Car la clef, c’est le respect. Respecter l’autre pour ce qu’il est et ne pas outrepasser les limites entre lui et moi, même si c’est mon enfant.
Le roi Chlomo nous dit ici : « Prends le jeune en compte, n’écrase pas son Moi, dirige-le selon ce que tu pressens en lui. » Et déjà, il met en garde de ne pas modeler son enfant en fonction de nous, parents, de ce que nous voulons de lui égoïstement, pour nous flatter, pour briller à travers lui, ou pour parer à nos manquements.
Quelle profondeur !
Le drame de l’enfant modèle
Une psychologue juive suisse, Alice Miller, a écrit à la fin des années 70 un ouvrage intitulé « Le drame de l’enfant doué », dans lequel elle parle du cas d’un enfant qui aurait été vidé de sa substance, de son Moi intime. Ses parents, souvent la mère, ont voulu le façonner à leur image (et c’est si facile sur ce petit être qui vous appartient...) et ont effacé son self, son intime profond, pour en faire un pantin qui répond absolument à leur désir. C’est là un des plus grands drames de l’enfance : ne pas permettre à l'enfant de développer sa propre personnalité. Ce ne sont pas des enfants malmenés, battus, mais souvent des enfants modèles, brillants, intuitifs qui ont compris ce qu’on attendait d’eux (et ce qu’il ne fallait surtout pas faire ou être) et se sont pliés à la volonté parentale. Car pour le petit, plaire à papa ou à maman, c’est s’assurer sa survie, et de son instinct aiguisé, il a su reconnaître qu'il n'était accepté que sous une certaine forme, avec un comportement exemplaire, parfait, sans droit à l'erreur. C’est le drame de l’amour conditionnel.
Ces enfants auront sans cesse l’impression de vivre à côté d’eux et bien sûr, à l'âge adulte, ils développeront des névroses profondes. Miller reconnaît, dans tous ses patients atteints de dépression, les retombées d’un être souffrant de ne jamais avoir été lui-même.
Pour la première fois, Miller parlait d’un enfant victime d’une forme de maltraitance invisible, mais très pernicieuse et subtile. C’est l'enfant qui ne sait que plaire, que faire pour les autres, que paraître, et son Moi hurle mais ne peut pas s’exprimer.
Si l’on reprend l'injonction du roi Chlomo, « Éduque le jeune selon ce qu’il est », on remarque que même cet écueil, il l'avait pressenti. Eduquer, oui, mais sans oublier l'être autonome, séparé de toi, qui est ton enfant, et ne pas le chosifier à ta volonté.
Quel génie ! Distance et hiérarchie d’une part, et de l’autre, reconnaissance, respect et tolérance de la différence d’autrui, dans un amour inconditionnel. Les clefs d’une véritable éducation sont révélées ici par le roi Chlomo et transcendent les millénaires, en 5 mots.
Qui dit mieux ?!