Aujourd’hui, Albert nous a quitté à l’âge de 94 ans. Sur Les réseaux sociaux, dans la Presse,la nouvelle est tombée : Albert s’en est allé.

Ce petit homme, jovial, drôle, aux yeux malicieux de jeune enfant taquin ; ce talentueux musicien, ce gentilhomme, ce « mentsch », les enfants du Gan Ami avaient eu l’occasion de le rencontrer, de dialoguer et d’entendre sa terrible histoire. Albert qui fréquentait la communauté d’Allauch avait été invité par M. Franck Djian professeur d’Histoire et de Sciences économiques et sociales, son ami, à venir témoigner plusieurs années de suite auprès de lycéens et de collégiens du Gan Ami. Albert avait cette gentillesse de ne jamais refuser notre invitation et pourtant, il nous l’avait avoué «  Quand je témoigne, je revis tellement les évènements, qu’il me faut des semaines pour m’en remettre et retrouver un sommeil apaisé ! ». Pourtant, quand les élèves le rencontraient ils étaient épatés par la vitalité de ce nonagénaire qui marchait sans cane, lisait sans lunettes, qui, clamait son amour pour la clarinette, la guitare, le peuple juif ou Israël. Bref, Albert aimait la musique, adorait rire et sourire et malgré la dureté et l’âpreté de son existence, Albert adorait la vie. Les enfants l’avaient bien compris !

Les élèves lui posaient toujours cette question naïve mais à-propos : -« Comment avez-vous fait pour tenir le coup ? ». « Je ne sais pas, j’ai eu de la chance mais avais-je seulement le choix ? ». Albert adorait plus que tout parler aux enfants, plus encore qu’aux adultes, aux journalistes et aux historiens de passage. «  J’ai l’impression, disait-il , qu’ils me comprennent ces minots, qu’ils ne me jugent pas, qu’ils ont la plus haute forme d’empathie à mon égard. Et puis, quand j’étais là-bas, j’avais un peu plus que leur âge mais à peine plus. Du coup, quand je leur parle, c’est un peu comme si je parlais à un miroir ». Il leur disait de ne jamais oublier la souffrance que des millions de juifs avaient endurée durant la Shoah. »Comme on se rappelle de l’esclavage en Egypte au moment de Pessah, on devrait se rappeler de la souffrance de la Shoah »

Aujourd’hui, M.Djian et moi, sommes passés dans les couloirs pour informer les élèves de terminale de cette tragique nouvelle. Ils avaient entendu le sage homme lorsqu’ils étaient plus jeunes, en classe de 3ème ou de Seconde et tous se rappelaient de son intervention dans l’école ; Certains gardent encore le précieux enregistrement sonore de son intervention au Gan Ami. D’autres se souvenaient de son sourire, sa bonhomie. D’autres encore, l’avaient aperçu encore lors de la cérémonie de Yom-hashoah à la synagogue de la rue Breteuil en Avril dernier. Albert était un grand, ne laissait personne indifférent et son souvenir restera gravé dans nos mémoires.

 

 

 

Pour ceux qui ne le connaissaient pas, voici un bref rappel de sa vie :

Albert Veissid a été père deux fois et grand-père trois fois, né en 1924 à Constantinople (Istanbul), est arrivé a Lyon a l'âge de 8 mois. Il habitait « a la Guillotiere, 11 rue Turenne, un immeuble aujourd'hui classé monument historique. « Après, j'ai travaillé dans un magasin de confection rue Moncey. J'ai quitté le Rhône trois ans après mon retour des camps. »

Arrêté a Lyon en juillet 1943 « avec 60 autres juifs », Albert Veissid  est interné à la prison Saint-Jean, puis au Fort de Chapoly, et transféré en septembre  au Camp Malaval à Marseille puis dans une carrière de Miramas où il reste pendant 5 mois comme « travailleur étranger ».

Finalement en février 1944 il est envoyé à Drancy avant de rejoindre l’enfer d’Auschwitz-Birkenau le 30 mai 44. « J'ai travaillé à la consolidation d'un bunker, puis j'ai été clarinettiste dans l'orchestre du camp. J'avais appris la clarinette avec le 1er clarinettiste de l'Opéra de Lyon. ».

Albert, qui s’est fait passé pour maçon, est affecté à des travaux avec des prisonniers polonais.
« C'est vrai que je leur ai rendu des services à ces ouvriers: en haut, c'était le ravitaillement et souvent ils volaient des seaux de marmelade que je cachais en bas.. J'ai sympathisé avec eux, mais très peu. Par contre, grâce à eux, j'avais beaucoup de soupe pour moi et mon camarade, parce qu'ils avaient beaucoup à manger. C'était une soupe bien épaisse, j'en mangeais le maximum et le restant je le donnais aux déportés qui passaient », poursuit-il.

« Là-bas, je mangeais à ma faim mais ce n'était plus le cas quand on a été évacué le 18 janvier 45. On est allé à Buchenwald puis à Berga. C'est la que j'ai connu la souffrance de la déportation».
Il entame une longue marche à travers l'Allemagne « J'ai failli mourir a Buchenwald, je n'avais plus que la peau sur les os. J'ai finalement été libéré en Tchécoslovaquie, par les Américains».
Il rejoint enfin la France par train, où sa famille peine à le reconnaître. « J'étais un squelette. Une semaine de plus, je ne revenais pas », confie-t-il. Après trois années de sanatorium, Albert travaille comme musicien puis se marie et devient marchand dans les années 1950. Il gardera toute sa vie cette passion pour la musique et a vécu à Marseille puis à Allauch.

En 2009, une étonnante surprise s’est présentée à Albert : Des journalistes du monde entier, caméra au poing l’attendent près de chez lui : on vient de retrouver dans un mur d’Auschwitz, une bouteille dans laquelle figure un papier avec 7 noms : le nom de 6 ouvriers polonais et d’un prisonnier français : Albert Veissid de Lyon, n°A12063. C’est bien lui ! Mais il ne se souvient plus avoir écrit un tel papier.  « Peut-être que par remerciement, ils ont mis mon nom dans la bouteille » disait-il modestement.

Des ouvriers travaillant dans un bâtiment qui avait appartenu à l'ex-camp nazi Auschwitz-Birkenau ont effectivement découvert une bouteille, renfermant un message, écrit il y a 75 ans par sept prisonniers de ce camp de la mort. Les ouvriers l'ont retrouvé au moment ou ils abattaient une cloison a l'École supérieure d'Auschwitz qui, pendant la guerre, avait servi d'entrepôt aux gardes allemands du camp. Écrit à la main, le message est daté du 20 septembre 1944. Il explique que ses signataires, un Français et sept Polonais, tous âgés de 18 a 20 ans, étaient employés a la construction d'un abri anti-aérien.

Voilà Albert ! Après la disparition d’Ida Grinspan, de Noah Klieger, de Maxi Librati et d’Henriette Cohen, elle aussi marseillaise, et après tant d’autres, c’est encore un témoin de marque qui nous quitte, un homme simple, modeste et digne, un tsaddik.  Que dans la tombe où tu reposes, descende avec nos larmes la bénédiction du Dieu d’Israël.

Enfin, Je me permettrais ce soir, alors que la communauté de La Rose se réunit ce soir pour lui rendre hommage, de rappeler un petit souvenir personnel : Lors d’un chabbat de Bar mitsva à Allauch, ma fille de 5 ans lui avait chanté cette jolie chanson du répertoire séfardi « A la una , yo naci ». « C’est la chanson que me chantait ma maman lorsque j’étais petit ». Son visage s’était alors éclairé d’un sourire radieux d’enfant. On aurait dit un ange. Je garderai le souvenir de ce visage, de ton sourire.

Olivier CINGOLANI

Enseignant Histoire-Géographie, Histoire Juive et Philosophie

 

 

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